L’Ecole
des Sables a organisé, ce mardi, à Toubab Dialaw, son spectacle de fin de stage
professionnel international des danses d’Afrique et de sa Diaspora. Cette
représentation, sous la direction artistique de Patrick Acogny, a mis en
vedette trente cinq danseurs professionnels des cinq continents après un
stage. Ils ont mis leur génie au service d’une idée porteuse qui prend en
charge les aspirations de l’humanité à travers l’expression corporelle. Le
thème, « danses noires, entre engagement et résistance », est, dans
ce sens, assez explicite et épouse la généreuse ambition de Germaine
Acogny pour l’Afrique et le monde.
Une
minute de silence à la mémoire de celui dont la baguette inspirait les
corps, Doudou Ndiaye Rose. C’est la seule fois où les visages ont paru attristés.
Par la suite, le souvenir affligeant
s’est noyé dans le ravissement ; celui de voir le corps gémir, s’engager,
résister, crier ses peines, haines et déveines, ses folles amours et créer avec
l’autre une alchimie que le vocabulaire humain ne peut exprimer. Trente cinq
jeunes se sont mis à dire à l’humanité, à travers un langage poétique exquis
magistralement conçu d’abord par l’Espagnole Aida Colmenero Diaz, que le
mouvement ne dépend guère de l’environnement sonore. L’expression corporelle,
si elle n’est déjà cadence, se libère du diktat du rythme. Le tam-tam, dans son
« boucan » de fureur, de joie, assourdit moins qu’il n’apaise pour
faire voyager le spectateur dans un monde où on bouge mieux. Le feulement du
tigre, comme s’y sont essayées ces graines du pas enchanteur, n’effraie pas. Il
témoigne du potentiel harmonique des choses et des êtres qui nous entourent.
L’hystérie
du loup solitaire ou de la meute peut égayer autant qu’elle agace. Cela dépend
de la sensibilité de qui les épie. Le « sabar » ne les détourne pas
de leur proie désarmée et déconcertée par les prouesses du corps et du
chorégraphe ivoirien Saky Tchébé Bertand. Le phrasé est régulier. Les
fluctuations sont exécutées avec amplitude. De temps en temps, la musique
trimbale les pas qui s’envolent dans un univers incertain ou déchirent le sol
d’une Afrique résistante, d’une humanité porteuse d’un idéal, d’un engagement. Le
directeur artistique, Patrick Acogny, éclairé par le douloureux passé des
siens, ne parle-t-il pas subtilement de « dialogues triangulaires entre
danses d’Afrique, de la diaspora noire, d’Europe et d’Amérique » ? Il
fut un sombre âge où la référence à cette figure géométrique était malheureuse,
où la danse exprimait l’attachement à des valeurs d’un terroir perdu. Sur la
scène, les pieds ébauchent un monde apaisé, les mains un univers en communion.
Celles du public applaudissent. Il a fallu parfois qu’on le tempère.
Le corps, un espace de résistance
Le
burlesque et la brusquerie ne traduisent pas la haine. Ils témoignent des
différences qu’il faut percer pour s’imprégner davantage de son être. On nomme
les choses d’une voix déterminée, comme on crierait son infortune et sa
délivrance, pour enfin laisser le soin à
la « carcasse » de la montrer : « j’ai de petits seins,
j’ai un grand cœur ». L’être et le paraître s’imbriquent. Qui saurait
mieux le rendre que ses 35 jeunes corps ruisselant de sueur devant la figure
tutélaire, Germaine Acogny ? Le spectacle l’éventa davantage que l’éventail
dont elle s’enticha durant toute la représentation.
L’insolite
se mêle à l’absurde pour qui ne comprend pas le langage des signes accompagnant
les pas parfois « soulagés » par la caverneuse voix d’une danseuse. On
sent la respiration de son voisin. Elle berce les spectateurs et s’en va vers
le verdoyant paysage faisant face à la scène. La chorégraphe, Chantal Loïal, fait « tourner le
public en bourrique ». Le rythme
est imprimé par les envies et « parfois c’est bon ou c’est pas bon ».
L’assistance résiste davantage aux battements de « sabar » qu’aux
allusions comiques, quelquefois ironiques des danseurs. Elle exulte. Elle en a
eu pour sa patience quand H. Patten, chorégraphe jamaïcain, a savouré « la
victoire sur l’oppression » pour entrevoir le futur ; celui là qui
enrichit le langage de l’expression corporelle. Le reggae, il ne se danse pas
seulement avec des dreadlocks ou en bondissant. Le contraste sur la scène est
saisissant. Il est sublime.
La
dernière pièce, sortie de l’inspiration de la sénégalaise Ramatoulaye Sarr, met
en scène une ronde au milieu de laquelle se succèdent les danseurs assis sur
des tabourets pour offrir au public autre délire que « raas », ceebu
jën, na goore» (danses sénégalaises). Les performances sont aussi variées que
les nationalités des stagiaires. Ne parle-t-on pas ici de « déconstruction des
danses patrimoniales africaines ». L’Ecole des sables ne s’est pas limitée
à déconstruire, elle a donné sens à ce qui paraissait anodin à nos yeux, à nos
rapports avec les symboles, les coutumes, les croyances. Celles là qui disaient
que le ciel boudait face aux rythmes électrisés du tam-tam sont mises en doute.
Le ciel s’est extasié en ouvrant ses « vannes » après jouissance des
notes de « sabar ». Il a rendu grâce à Germaine. Elle ne convoite pas
les honneurs. Mais la nation serait très inspirée de les lui rendre.
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