jeudi 12 novembre 2015

Spectacle de fin de stage international de danse. Les bonnes graines sortent des sables

L’Ecole des Sables a organisé, ce mardi, à Toubab Dialaw, son spectacle de fin de stage professionnel international des danses  d’Afrique et de sa Diaspora. Cette représentation, sous la direction artistique de Patrick Acogny, a mis en vedette trente cinq danseurs professionnels des cinq continents après un stage. Ils ont mis leur génie au service d’une idée porteuse qui prend en charge les aspirations de l’humanité à travers l’expression corporelle. Le thème, « danses noires, entre engagement et résistance », est, dans ce sens, assez explicite et épouse la généreuse ambition de Germaine Acogny pour l’Afrique et le monde.

Une minute de silence à la mémoire de celui dont la baguette inspirait les corps, Doudou Ndiaye Rose. C’est la seule fois où les visages ont paru attristés. Par la suite,  le souvenir affligeant s’est noyé dans le ravissement ; celui de voir le corps gémir, s’engager, résister, crier ses peines, haines et déveines, ses folles amours et créer avec l’autre une alchimie que le vocabulaire humain ne peut exprimer. Trente cinq jeunes se sont mis à dire à l’humanité, à travers un langage poétique exquis magistralement conçu d’abord par l’Espagnole Aida Colmenero Diaz, que le mouvement ne dépend guère de l’environnement sonore. L’expression corporelle, si elle n’est déjà cadence, se libère du diktat du rythme. Le tam-tam, dans son « boucan » de fureur, de joie, assourdit moins qu’il n’apaise pour faire voyager le spectateur dans un monde où on bouge mieux. Le feulement du tigre, comme s’y sont essayées ces graines du pas enchanteur, n’effraie pas. Il témoigne du potentiel harmonique des choses et des êtres qui nous entourent.
L’hystérie du loup solitaire ou de la meute peut égayer autant qu’elle agace. Cela dépend de la sensibilité de qui les épie. Le « sabar » ne les détourne pas de leur proie désarmée et déconcertée par les prouesses du corps et du chorégraphe ivoirien Saky Tchébé Bertand. Le phrasé est régulier. Les fluctuations sont exécutées avec amplitude. De temps en temps, la musique trimbale les pas qui s’envolent dans un univers incertain ou déchirent le sol d’une Afrique résistante, d’une humanité porteuse d’un idéal, d’un engagement. Le directeur artistique, Patrick Acogny, éclairé par le douloureux passé des siens, ne parle-t-il pas subtilement de « dialogues triangulaires entre danses d’Afrique, de la diaspora noire, d’Europe et d’Amérique » ? Il fut un sombre âge où la référence à cette figure géométrique était malheureuse, où la danse exprimait l’attachement à des valeurs d’un terroir perdu. Sur la scène, les pieds ébauchent un monde apaisé, les mains un univers en communion. Celles du public applaudissent. Il a fallu parfois qu’on le tempère.
Le corps, un espace de résistance
Le burlesque et la brusquerie ne traduisent pas la haine. Ils témoignent des différences qu’il faut percer pour s’imprégner davantage de son être. On nomme les choses d’une voix déterminée, comme on crierait son infortune et sa délivrance, pour enfin  laisser le soin à la « carcasse » de la montrer : « j’ai de petits seins, j’ai un grand cœur ». L’être et le paraître s’imbriquent. Qui saurait mieux le rendre que ses 35 jeunes corps ruisselant de sueur devant la figure tutélaire, Germaine Acogny ? Le spectacle l’éventa davantage que l’éventail dont elle s’enticha durant toute la représentation.
L’insolite se mêle à l’absurde pour qui ne comprend pas le langage des signes accompagnant les pas parfois « soulagés » par la caverneuse voix d’une danseuse. On sent la respiration de son voisin. Elle berce les spectateurs et s’en va vers le verdoyant paysage faisant face à la scène. La chorégraphe,  Chantal Loïal, fait  « tourner le public  en bourrique ». Le rythme est imprimé par les envies et « parfois c’est bon ou c’est pas bon ». L’assistance résiste davantage aux battements de « sabar » qu’aux allusions comiques, quelquefois ironiques des danseurs. Elle exulte. Elle en a eu pour sa patience quand H. Patten, chorégraphe jamaïcain, a savouré « la victoire sur l’oppression » pour entrevoir le futur ; celui là qui enrichit le langage de l’expression corporelle. Le reggae, il ne se danse pas seulement avec des dreadlocks ou en bondissant. Le contraste sur la scène est saisissant. Il est sublime.

La dernière pièce, sortie de l’inspiration de la sénégalaise Ramatoulaye Sarr, met en scène une ronde au milieu de laquelle se succèdent les danseurs assis sur des tabourets pour offrir au public autre délire que « raas », ceebu jën, na goore» (danses sénégalaises). Les performances sont aussi variées que les nationalités des stagiaires. Ne parle-t-on pas ici de « déconstruction des danses patrimoniales africaines ». L’Ecole des sables ne s’est pas limitée à déconstruire, elle a donné sens à ce qui paraissait anodin à nos yeux, à nos rapports avec les symboles, les coutumes, les croyances. Celles là qui disaient que le ciel boudait face aux rythmes électrisés du tam-tam sont mises en doute. Le ciel s’est extasié en ouvrant ses « vannes » après jouissance des notes de « sabar ». Il a rendu grâce à Germaine. Elle ne convoite pas les honneurs. Mais la nation serait très inspirée de les lui rendre.

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