jeudi 12 novembre 2015

Mamadou Mbaye Garmi : la mémoire sociale du Sénégal


Quand ses petits camarades de jeu imitaient les stars du football, d’autres celles du cinéma, Mamadou Mbaye, lui, mimait le geste enjolivé, le pas majestueux et le verbe transcendant des grands griots qui apaisent les esprits et conquièrent les cœurs de pierre et d’or. Il tire parti de son talent en se forgeant une personnalité aux traits enchanteurs, en se traçant une ligne de conduite qu’il s’échine à suivre. L’animateur de l’émission « les mémoires du Sénégal », ce n’est pas seulement cet homme qui éveille et égaye ses congénères ou loue le bienfaiteur. Il est aussi coloré qu’imbu de vertus. La vieille garde ne l’a-t-il pas surnommé « garmi », celui-là dont on dit qu’il est noble sous nos cieux ?

Allo ! Je termine ma toilette et puis je suis à vous ! Cela a pris un peu de temps. On a compris ensuite la raison quand on l’a vu. Il en imposait dans son grand boubou bleu assorti à des chaussures de même couleur et au bonnet doré qui rendait la garniture plus harmonieuse. Dans son cocon douillet, Mamadou se  « désencombre » soigneusement et très vite de son froufrou jeté sur un des fauteuils de son salon. Mais il a gardé tout l’éclat d’un griot de sa trempe. Comme on l’entend sur les ondes. Comme on le voit à l’écran.
Si on devait classer les griots, Garmi serait de la catégorie des moralistes au verbe beau et plaisant. Ne les appelle-t-on pas sous d’autres cieux « antidotes des forces du mal » ? Ici, comme ailleurs, ils revigorent le plus engourdi des hommes. Pour y arriver, Mamadou Mbaye ne cite pas Nietzsche, comme le ferait le philosophe, ou comme s’y plairait  l’homme de lettres, Molière. Il puise dans le fonds culturel et traditionnel sénégalais pour donner vie et sens aux choses, légitimer un statut ou ses propres dires souvent entrecoupés par des « tics » devenus des marques déposées ; celles-là qui ont fait tilt dans les chaumières férues de « petites » manières. Na biir, eh Mbaye, c’est comme de douces rengaines qui l’inspirent. Il est stylé. Il fait rire et réfléchir.
Ni cancre, ni génie,  chasseur de laax
Mamadou Mbaye est né à Niarry Tally, « quartier de beaucoup de nobles de ce pays », comme il aime à le ressasser. Il tire aussi gloire d’être baptisé, comme tous les mômes de sa génération, par Imam Dramé enterré dans l’enceinte de la mosquée de Niarry Tally sur instruction du président Abdou Diouf. A l’époque, tous les notables  adressaient des vœux au Seigneur dans un verre d’eau que le nouveau-né devait « s’abreuver ». Serait-ce là le secret de son succès ? « Masha Allah », marmonne-t-il, sourire aux lèvres, en guise de réponse.
Son enfance fut à la fois joyeuse et parsemée d’embûches. Mais rien, même après deux échecs au concours d’entrée en sixième, ne pouvait entamer le moral et la ténacité du besogneux garçon couvé par une grand-mère paternelle, Arame Ndao Guèye et son époux El hadj Atou Guèye,  « le bienfaiteur des bonnes gens, de sa caste et des miséreux », se rappelle l’ancien « potache » de l’école Biscuiterie, fier. Fierté qui illumine son visage quand il raconte cette anecdote comme pour dire au monde que son statut de communicateur traditionnel n’est pas usurpé bien que ses géniteurs, une discrète ménagère et un maître-tailleur des « gens distingués », n’aient pas pratiqué le milieu. Laissons-le plutôt dérouler. Il le fait si bien : « ma grand-mère, Arame Ndao Guèye, était une grande griotte. C’est elle qui faisait la cuisine lors des cérémonies. A la récréation, avec quelques camarades, je la retrouvais pour me délecter du laax (bouillie) dans une louche. A l’heure du déjeuner, elle me mettait du riz dans un pot de tomate ou sur un couvercle. Je commençais alors à déambuler dans la cour comme tout bon griot au contact des grandes personnes ». La flamme le dévore.
El hadj Mansour, ce mentor
Le virus a atteint le corps et l’esprit. Mais le jeune Mamadou doit se trouver une voie. Le pater ne veut pas qu’il soit couturier comme lui. Il embrasse le métier de ferronnier qui lui a permis de « fonder une famille, de baptiser certains de mes enfants », révèle-t-il, si souvent heureux de passer devant ses œuvres. Toutefois, cette envie viscérale de ressembler à certaines gens raffinées aux boubous bien empesés, à la fragrance envoûtante, aux « phrasés » exquis, demeure dans un coin de la tête de Mamadou devenu coquet adulte.  « J’étais si pénétré de ces valeurs esthétiques, de ces manières raffinées, que je guettais, tous les jours, El hadj Mansour Mbaye qui n’habitait pas loin de chez moi, pour l’apercevoir avec sa mise soignée ».
Môme, il joue ailier pour voir de plus près celui qu’il appelle affectueusement « gardien du temple ». La nuit, celui qui se fera appeler, plus tard, griot du troisième millénaire, se laisse bercer par les émissions de son mentor, par les notes des « ndaanaan » qu’il « distillait mieux que quiconque dans sa tranche horaire », détaille-t-il pour montrer son attachement et témoigner sa gratitude à la figure tutélaire des communicateurs traditionnels. Celle-ci le lui rend bien en l’associant à toutes les prises de décision dans leur « coterie » et en lui prodiguant de sages conseils. L’affection qu’il voue au défunt Abdoulaye Nar Samb, une autre personnalité colorée des porteurs de nouvelles, est également profonde. Ces références, il ne les parodie pas. Elles l’inspirent. Son parcours, presque similaire, sous plusieurs aspects, à ceux de ces éminences du monde des griots en est une illustration achevée.
Une percée fulgurante
Comme ses devanciers, Mamadou Mbaye n’est pas allé chercher la radio. Celle-ci l’a trouvé. Son éloquence et ses persuasives harangues l’en prédisposaient. Le hasard, s’il existe, l’a mené vers des hommes de médias qui l’ont choyé et fait découvrir aux Sénégalais. Le visage illuminé, Garmi relate cette fortune comme s’il venait de la vivre. C’était en 2000, mais il n’a rien oublié : « Alors que j’étais tiraillé entre ma passion du micro, du discours qui galvanise et l’atelier de métallerie dont il fallait m’occuper, Lamine Nar Tafsir Khaya me proposa de venir travailler à la radio. Je n’y avais pas prêté une importance particulière mais lui y tenait. Il me mit en rapport avec le directeur de la radio 7 Fm, Adama Sow, qui tomba sous le charme de ma voix. J’y rejoignis El hadj Thierno Ndiaye et Ibra Ndiaye Niokhobaye pour animer l’émission de lutte Penc Lamb ji ». La suite a été comme sur des roulettes, majestueuse.
Après la rupture entre les promoteurs de 7 Fm, Youssou Ndour, « cette noble créature » que Garmi se plait à rappeler la grandeur d’âme, la générosité et la modestie, le reprend de « sa propre initiative et sans intermédiaire cette fois-ci», s’honore- t-il, à la nouvelle radio qu’il venait de lancer, Sport Fm. Il en a été ainsi quand le chanteur a créé le Groupe futurs médias. Aujourd’hui, auditeurs et téléspectateurs savourent sa maîtrise du legs des aïeux et sa maestria.
La politique, ce bourbier de mes amis
Ce monogame qui raffole de « ceebu jën » autant qu’il abhorre ceux qui ne peuvent pas garder un secret ou qui dénigrent le moins offrant, s’est un peu essayé à la politique. Il « chauffait » le micro central lors des manifestations du Parti socialiste. Depuis, il voue une admiration particulière au défunt patron des jeunes socialistes, Pape Babacar Mbaye. « Quand le président Abdou Diouf à qui j’ai récemment rendu hommage les recevait, j’étais toujours présent », se souvient-il. Aujourd’hui, il a pris un peu de distance mais garde de solides attaches dans le paysage politique en général. « Je suis républicain », tranche-t-il. Qu’en est-il de sa relation avec le premier des républicains ? Son compagnonnage avec mon ami Youssou Ndour me ravit. J’estime son excellence Macky Sall  et il me le rend bien », se contente-t-il de dire. Avec Abdoulaye Wade et l’ancien président du sénat, les rapports ont été tout aussi cordiaux. Le leader de Bokk guis guis l’a envoyé aux lieux saints de l’Islam.  

Cette âme sensible qui n’aime pas regarder les films au risque de « se transformer en acteur » prépare un livre qui retrace le parcours de certaines grandes figures sénégalaises. Ne dit-on pas si fréquemment que les griots sont des courroies de transmission, la mémoire sociale du groupe ? Sa mémoire d’éléphant, elle, lui rappelle ce jour heureux où il a croisé, à la Mecque, sa fille, son gendre et son petit-fils. Le malheur n’est pas dans son jargon. Il préfère parler de ce qui fait vivre, l’espoir. Pour sa progéniture, son rêve, est qu’elle soit en mesure de reprendre le flambeau, celui-là de la dignité, de l’honneur. Qu’elle ait moins de prestance ne l’effraie guère. Qu’elle répète moins des « eh Mbaye » à tout bout de…ravissement et d’ébahissement, non plus. « L’essentiel est qu’elle épouse les valeurs essentielles », les siennes, voulait-il certainement dire, par pure modestie. 

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