Ceux qui voyaient en
« Dupont et Demba » la marque d’un gigantisme des mégalopoles seront
étonnés devant l’immensité du monument de la renaissance africaine. Il en
impose par sa taille et le symbole qu’elle incarne ; celui d’une Afrique
entreprenante. Au début, presque laissée à elle-même, cette réalisation est
entourée aujourd’hui d’un peu plus d’égards. Les réactions « primaires » s’essoufflent pour faire de la place à
l’émerveillement.
Le
temps a fait son œuvre. Le colosse ne languit plus de solitude. Des enfants se
laissent glisser sur les toboggans de circonstance bordant les premières des
cent quatre vingt dix huit marches d’escalier qui ne rebutent point une tenace
sexagénaire. Son ardeur traduit son désir d’assouvir sa curiosité. Le monument
de la renaissance africaine, pour elle, « c’était juste le truc qui avait
suscité un tollé ». Elle ne déboule pas l’escalier. La téméraire s’essouffle
mais y arrive. En contrebas, un jeune patineur, de loin plus fringant, enlève
sa paire de rollers après des tours sur la piste qu’il ne se dispute pas avec
des automobilistes. A l’instar des marchands d’art et des taximen d’au-delà des barrières ou des
quelques vendeurs de sachets d’eau et de cacahuètes, des photographes guettent des visiteurs
désireux de s’immortaliser avec la statue nichée sur la colline de Ouakam. Ici,
il y a de la vie malgré un ciel menaçant et la chaleur étouffante de l’après
midi. La nuit, la fraicheur, le parfum des fleurs et l’hospitalière lumière
dont celle scintillante émanant du bonnet du « père » en font une
zone d’attraction.
Vers
18 heures, comme s’ils se l’étaient murmuré, des individus, pour l’essentiel
des étrangers, prennent d’assaut le monument pour une visite guidée. Dans
l’attente des guides occupés à faire découvrir les lieux aux premiers venus,
les visiteurs s’émerveillent devant des écrans vidéo du rez-de-chaussée
reconstituant le processus de réalisation de la plus grande statue au monde
parmi celles que l’on peut visiter de l’intérieur. Les grandes figures ayant
participé à l’exaltation de la dignité de l’homme noir, à l’affirmation de la
terre de ses aïeux et représentées dans le hall, au delà des identités
géographiques, témoignent de la vocation de cette œuvre en cuivre ; celle
d’être une « chose de l’Afrique audacieuse, de sa diaspora, un patrimoine
de l’humanité », dit Abdoulaye
Racine Senghor, honoré d’en être l’administrateur depuis 2014.
L’Afrique se parle à l’intérieur
du monument
Du
« belvédère » se logeant dans la tête du « père » aux immenses biceps, on aperçoit, à travers les baies
vitrées, l’énorme « enfant » de cinquante tonnes et redécouvre Dakar
sous un jour nouveau. Le « papa » en pèse deux fois plus alors que la
« maman » en a trente de moins que ce dernier. Au troisième étage,
c’est la « réunification » des grandes familles libérales et
socialistes. Les présidents Macky Sall et Abdoulaye Wade sont magnifiquement
représentés cote à cote. Il en est ainsi de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf.
La salle du trône offerte par l’Angola avec des objets authentiques appartenant
à une famille royale sonne comme une volonté pour l’Afrique de s’approprier une
œuvre qui lui est dédiée. Elle est davantage exprimée au deuxième palier dans
la salle présidentielle. A l’intérieur de celle-ci, la culture réussit ce que
la politique et les entités économiques ne sont pas jusqu’ici parvenus à
réaliser : les échanges sud-sud. Ici, ils sont culturels.
On
trouve, dans cette salle, le masque Kran du Libéria, celui des cultures du
Burkina Faso, l’échelle du peuple dogon au Mali, du Ghana, le fragment de la
porte de non retour de Wida au Bénin, la natte de la Mauritanie, une tapisserie
de la manufacture de Thiès majestueusement décorés par l’ex première dame du
Sénégal, Viviane Wade. Un espace insonorisé y est également aménagé pour des
projections de films pour enfants et des séances de conte.
Au
premier étage, à travers l’exposition « socio-sculpture » de Djibril
Goudiaby, c’est le dialogue des cultures sénégalaises dans leur diversité, dans
ce qu’elles montrent de plus impénétrable. Il est prévu d’ailleurs de la faire
connaître au public. « Les expositions sont ouvertes à tous les artistes.
L’essentiel est qu’elles soient prometteuses », prévient l’administrateur.
Les sénégalais devraient se
l’approprier davantage
David,
un anglais, flanqué de sa fiancée, est surpris d’entendre que de nombreux
sénégalais vivant à Dakar ne savent pas que le monument se visite de l’intérieur.
« Il est gigantesque. Il gagnerait à être mieux connu parce qu’il exprime,
dans toute sa magnificence, le génie de l’homme. Je ne pouvais pas venir
jusqu’à Dakar, après avoir fait des kilomètres, sans le visiter ». dit-il,
subjugué. Pourtant, à quelques mètres de là, cette réalisation achevée depuis
2010, c’est comme le suaire qu’on aperçoit de loin. Le corps qu’il enveloppe
est un mystère que les « populations sénégalaises gagneraient à percer. Nous aimerions
qu’elles se l’approprient davantage », regrette Oumou Khairy Seck, à la
tête du département marketing depuis un an. « La politique menée
auprès des établissements scolaires porte ses fruits. Nous leur accordons
quelques facilités d’accès. Les élèves montrent plus d’enthousiasme. Nous
prévoyons également un spot publicitaire pour les chaînes de télévision et les
radios en plus des prospectus que nous donnons aux visiteurs ».
ajoute-t-elle. C’est une évidence, la communication passe mieux aujourd’hui que
la controverse autour de l’opportunité de cette statue est beaucoup moins
soutenue.
Dans
le tintamarre qui a accompagné sa réalisation, il s’est posé la question de la
rentabilité. Elle est mal formulée selon l’administrateur : « Les
retombées ne sont pas seulement financières. L’épanouissement des gens n’est
pas quantifiable. L’aspect pécuniaire est moins essentiel que la portée culturelle,
symbolique du monument et les réflexions utiles dont nous ne pouvons nous
dispenser et qu’il nous incite à porter pour la définition d’une conscience
africaine à installer tournée vers l’émergence. Il joue un rôle de galvanisation ». L’espace de jeu pour les
enfants prévu sur la colline est également une stratégie de
« captation » de la jeunesse à qui, selon M. Senghor, il faut « inculquer des valeurs
culturelles » lui permettant de s’approprier ses figures et ses symboles.
Certains grands événements qui y sont organisés
font plus de la publicité au monument qu’ils ne constituent des rentrées d’argent.
Le colosse en pâtit moins que le tollé qu’il avait suscité. Mais, il peut
rendre grâce au Ciel d’être désigné par son nom aujourd’hui. On l’appelle de
moins en moins, sous le ton de la raillerie, « monument Abdoulaye
Wade ».
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