jeudi 12 novembre 2015

Monument de la renaissance africaine. Le ciel s’éclaircit au dessus du colosse


Ceux qui voyaient en « Dupont et Demba » la marque d’un gigantisme des mégalopoles seront étonnés devant l’immensité du monument de la renaissance africaine. Il en impose par sa taille et le symbole qu’elle incarne ; celui d’une Afrique entreprenante. Au début, presque laissée à elle-même, cette réalisation est entourée aujourd’hui d’un peu plus d’égards. Les réactions « primaires » s’essoufflent pour faire de la place à l’émerveillement.

Le temps a fait son œuvre. Le colosse ne languit plus de solitude. Des enfants se laissent glisser sur les toboggans de circonstance bordant les premières des cent quatre vingt dix huit marches d’escalier qui ne rebutent point une tenace sexagénaire. Son ardeur traduit son désir d’assouvir sa curiosité. Le monument de la renaissance africaine, pour elle, « c’était juste le truc qui avait suscité un tollé ». Elle ne déboule pas l’escalier. La téméraire s’essouffle mais y arrive. En contrebas, un jeune patineur, de loin plus fringant, enlève sa paire de rollers après des tours sur la piste qu’il ne se dispute pas avec des automobilistes. A l’instar des marchands d’art  et des taximen d’au-delà des barrières ou des quelques vendeurs de sachets d’eau et de cacahuètes,  des photographes guettent des visiteurs désireux de s’immortaliser avec la statue nichée sur la colline de Ouakam. Ici, il y a de la vie malgré un ciel menaçant et la chaleur étouffante de l’après midi. La nuit, la fraicheur, le parfum des fleurs et l’hospitalière lumière dont celle scintillante émanant du bonnet du « père » en font une zone d’attraction.
Vers 18 heures, comme s’ils se l’étaient murmuré, des individus, pour l’essentiel des étrangers, prennent d’assaut le monument pour une visite guidée. Dans l’attente des guides occupés à faire découvrir les lieux aux premiers venus, les visiteurs s’émerveillent devant des écrans vidéo du rez-de-chaussée reconstituant le processus de réalisation de la plus grande statue au monde parmi celles que l’on peut visiter de l’intérieur. Les grandes figures ayant participé à l’exaltation de la dignité de l’homme noir, à l’affirmation de la terre de ses aïeux et représentées dans le hall, au delà des identités géographiques, témoignent de la vocation de cette œuvre en cuivre ; celle d’être une « chose de l’Afrique audacieuse, de sa diaspora, un patrimoine de l’humanité »,  dit Abdoulaye Racine Senghor, honoré d’en être l’administrateur depuis 2014.
L’Afrique se parle à l’intérieur du monument
Du « belvédère » se logeant dans la tête du « père » aux immenses  biceps, on aperçoit, à travers les baies vitrées, l’énorme « enfant » de cinquante tonnes et redécouvre Dakar sous un jour nouveau. Le « papa » en pèse deux fois plus alors que la « maman » en a trente de moins que ce dernier. Au troisième étage, c’est la « réunification » des grandes familles libérales et socialistes. Les présidents Macky Sall et Abdoulaye Wade sont magnifiquement représentés cote à cote. Il en est ainsi de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf. La salle du trône offerte par l’Angola avec des objets authentiques appartenant à une famille royale sonne comme une volonté pour l’Afrique de s’approprier une œuvre qui lui est dédiée. Elle est davantage exprimée au deuxième palier dans la salle présidentielle. A l’intérieur de celle-ci, la culture réussit ce que la politique et les entités économiques ne sont pas jusqu’ici parvenus à réaliser : les échanges sud-sud. Ici, ils sont culturels.
On trouve, dans cette salle, le masque Kran du Libéria, celui des cultures du Burkina Faso, l’échelle du peuple dogon au Mali, du Ghana, le fragment de la porte de non retour de Wida au Bénin, la natte de la Mauritanie, une tapisserie de la manufacture de Thiès majestueusement décorés par l’ex première dame du Sénégal, Viviane Wade. Un espace insonorisé y est également aménagé pour des projections de films pour enfants et des séances de conte.
Au premier étage, à travers l’exposition « socio-sculpture » de Djibril Goudiaby, c’est le dialogue des cultures sénégalaises dans leur diversité, dans ce qu’elles montrent de plus impénétrable. Il est prévu d’ailleurs de la faire connaître au public. « Les expositions sont ouvertes à tous les artistes. L’essentiel est qu’elles soient prometteuses », prévient l’administrateur.
Les sénégalais devraient se l’approprier davantage
David, un anglais, flanqué de sa fiancée, est surpris d’entendre que de nombreux sénégalais vivant à Dakar ne savent pas que le monument se visite de l’intérieur. « Il est gigantesque. Il gagnerait à être mieux connu parce qu’il exprime, dans toute sa magnificence, le génie de l’homme. Je ne pouvais pas venir jusqu’à Dakar, après avoir fait des kilomètres, sans le visiter ». dit-il, subjugué. Pourtant, à quelques mètres de là, cette réalisation achevée depuis 2010, c’est comme le suaire qu’on aperçoit de loin. Le corps qu’il enveloppe est un mystère que les « populations sénégalaises gagneraient à percer. Nous aimerions qu’elles se l’approprient davantage », regrette Oumou Khairy Seck, à la tête du département marketing depuis un an.  « La politique menée auprès des établissements scolaires porte ses fruits. Nous leur accordons quelques facilités d’accès. Les élèves montrent plus d’enthousiasme. Nous prévoyons également un spot publicitaire pour les chaînes de télévision et les radios en plus des prospectus que nous donnons aux visiteurs ». ajoute-t-elle. C’est une évidence, la communication passe mieux aujourd’hui que la controverse autour de l’opportunité de cette statue est beaucoup moins soutenue.
Dans le tintamarre qui a accompagné sa réalisation, il s’est posé la question de la rentabilité. Elle est mal formulée selon l’administrateur : « Les retombées ne sont pas seulement financières. L’épanouissement des gens n’est pas quantifiable. L’aspect pécuniaire est moins essentiel que la portée culturelle, symbolique du monument et les réflexions utiles dont nous ne pouvons nous dispenser et qu’il nous incite à porter pour la définition d’une conscience africaine à installer tournée vers l’émergence. Il joue un rôle de  galvanisation ». L’espace de jeu pour les enfants prévu sur la colline est également une stratégie de « captation » de la jeunesse à qui, selon M. Senghor, il faut  « inculquer des valeurs culturelles » lui permettant de s’approprier ses figures et ses symboles.
Certains grands événements qui y sont organisés font plus de la publicité au monument qu’ils ne constituent des rentrées d’argent. Le colosse en pâtit moins que le tollé qu’il avait suscité. Mais, il peut rendre grâce au Ciel d’être désigné par son nom aujourd’hui. On l’appelle de moins en moins, sous le ton de la raillerie, « monument Abdoulaye Wade ».  





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