« Ceux
qui sont morts ne sont jamais partis…ils sont dans le bois qui gémit ».
Gémissements de plaisir ou de chagrin ? Eclaire notre lanterne Birago
Diop, nous, desséchées âmes indifférentes aux images des mots, à la poésie de
l’horreur et de la béatitude. « Le souffle des ancêtres » s’éteint
dans le brasier de l’insensibilité même si les larmes ruissellent aujourd’hui
plus qu’hier. Nous les essuyons avec notre vanité mondaine, avec nos petites
marottes.
Moi
qui étais si prompt à chicaner sur les « gestes » de compassion des
Sénégalais (jaxal), je me suis retrouvé, au décès de ma mère, les poches
remplies de billets de banque comme jamais. Cela m’a été d’un certain secours.
Je me suis servi de cette petite fortune pour nourrir et loger ceux-là mêmes
qui m’en avaient gratifié ! Il m’a fallu ensuite acheter quelques matelas
pour les « compatissants de luxe » comme on l’aurait fait avec la
future belle-famille à l’occasion des épousailles (avant les chamailles). Ces
hommes et femmes de la société « émergente » n’aiment pas trop le
« thièbou yapp » et ne boivent pas l’eau en sachet (en même temps ils
ont raison, cette eau-là !).
Le
soir, quand les « chants lyriques » se sont noyés dans les souvenirs
ressassés (toujours les bons, prescription divine, paraît-il) et que la
bombance a pris fin, j’ai pris le temps de penser à ma « pauvre »
mère. De sa nouvelle demeure, elle est certainement fière de voir son garçon
servir ses vieilles amitiés avec déférence ; lui que leur affectée
tendresse répugnait. C’est à peine si je n’ai pas exulté pour dire à ma mère
« yaye sa fête bi neexna ! » (Maman ta fête a été belle !).
L’envie de la lui raconter me brûla ». Elle m’a peut-être bien entendu :
« Ton
bélier t’a rejointe au ciel. Pour le dîner, on a sacrifié la brebis. La viande
du taureau n’a pas suffi. Tous tes amis étaient là. Et il fallait bien qu’ils
mangeassent. J’ai demandé à ton grand frère de me prêter un peu d’argent pour les
billets de retour des « villageois » comme tu aimais à le faire lors
des fêtes de réjouissance. Mon oncle, bienfaiteur des chairs rondes de la
capitale, a accédé à ma requête après que je lui ai donné en gage tes colliers
en or en attendant le partage de l’héritage. Les quatre imams du quartier ont
proposé leurs services. Le plus jeune s’est désisté après avoir soulevé une
petite controverse. Tu as toujours respecté, maman, ces trois vieux, mais, moi,
je les trouve tordus. Je n’ai pas encore eu le temps de te pleurer comme toutes
ces personnes qui ne t’ont jamais rendu visite quand, malgré ta souffrance à
l’hôpital, tu continuais à m’entourer de ta prévenance sous le regard amusé et
ému de l’infirmière…Je te raconterai le reste quand j’aurai arrêté de frémir
d’indignation…Ah, la vendeuse de cacahuètes, elle a tellement pleuré !
Elle m’a aidé à m’occuper de ta clique de grandes dames et leurs compagnons
esbroufeurs ».
Birago,
pardonne-moi cette offense. Les morts sont définitivement morts ; même ce
pauvre taximan qui a subi la furie de ce jeune homme qui, dit-on, était promis
à un « bel avenir ». Il conduisait de rutilantes bagnoles et passait
à l’écran. Cette contingence dans cette ascension vers ce que nous concevons
comme la réussite semble nous émouvoir davantage que l’acte ignoble qu’il a
commis et qui anéantit les espoirs d’une mère éplorée et d’une ex-future épouse
traumatisée à vie. Les esprits étroits et destructeurs d’un autre temps diront
qu’elle porte la poisse pour en rajouter à sa peine. Aura-t-elle droit au
« jaxal » psychologique ? Pas si sûr ! Et si les taximen en
grève y faisaient un tour ?