Un bon ami, un tantinet fielleux, s’en prenait souvent
aux Sénégalais qu’il trouvait tortueux. Plus que toute autre vilenie des
animateurs des 250 partis politiques et des poussières, la question de la
transhumance lui inspirait une certaine répugnance. Il me disait souvent, pour
s’en offusquer, que les « transhumants » politiques ne débarquaient
pas dans des prairies plus vertes avec un cheptel. Ils sont escortés et
célébrés par des Sénégalais qu’ils y paissent. La cohorte indignée poussant des cris
d’orfraie est souvent celle-là qui s’apitoie sur sa propre infortune ;
celle d’avoir été moins bien servie. Ce réquisitoire dressé par mon ami que
d’aucuns qualifieraient d’aigri, donne matière à réflexion sur le vieux tube
d’été de wade, « wax waxeet », remis au goût du jour par Macky.
Il y
a quelque chose de cocasse dans cette histoire de reniement. La « vertueuse»
société s’émeut d’une infamie dont elle
se couvre allègrement. Elle porte en triomphe « ñi man polotik »,
joli euphémisme voulant dire « baratineurs éhontés ». Je racontais, à mon
tour, à cet ami les "bourlingages" politiques de mon grand-père. Celui-ci me ressassait sans se
lasser la belle époque senghorienne « diamano toussé cornobof »
(corned-beef). Il me parlait aussi d’Abdou
Diouf avec émerveillement et conviction.
Je m’étais fait une religion : mon grand-père, connu pour son
engagement politique que n’égalait que son illettrisme embarrassant, était un
socialiste invétéré, sûr ; si socialisme il connaissait. Il avait la
réputation d’être un « bon politicien » et embarquait souvent
les ingénus vieux flemmards. Hélas, Wade est celui pour qui il s’est également
battu pour sa réélection en 2012 avec une telle ardeur qu’on eut cru à un
décret divin. Aux dernières nouvelles, de son lit d’hôpital, il a déposé son
baluchon chez sa majesté Sall.
Il ne faut pas s’étonner donc que le président de la République ne
donne pas plus de valeur à nos petites règles de bienséance si souvent
chantonnées par les premiers transgresseurs, les Sénégalais. Les exhibitions
des « zélés » de la couronne et les exaltations des louangeurs de la
cour –ils sont dans leur rôle- ne suscitent pas l’émoi outre mesure quand le
verbe ne traduit pas la vérité ; cette « agonisante » vertu
dont les Sénégalais si friands de moralisme s’entichent de moins en moins.
Suprême paradoxe pour une civilisation d’oralité. Il fut un temps où la parole
donnée tenait lieu de signature. Aujourd’hui, vous pouvez jurer sur tous les
Saints et promettre la tête de votre mère et la dignité de vos aïeuls, vous ne
ferez qu’en rajouter à la réticence de vos interlocuteurs.
Si le peuple n’a que les hommes politiques qu’il mérite, portons
alors le toast à l’honneur de l’alliance pour la fourberie et le reniement.
Comment nous avons appelé ça ? Wax waxeet ! Nous faisons semblant de
nous en offusquer. Mais nous le chantons, nous en rions. ! Nous aimons ce
côté pernicieux de ceux qui le répandent.
On pouvait espérer l’éclaircie de certains
« enturbannés » au verbe mystificateur dont l’immixtion dans le jeu
politique ne montre que l’étendue du mal. Que dire de la société « si
vile », ce luxueux château de recyclage pour politiciens en mal de
succès ? Les accointances avec les politiciens qu’ils vouaient aux
gémonies, de l’opposition comme du pouvoir, ne traduisent que la versatilité,
pour beaucoup du moins, de leurs causes.
Mais, ils ne sont qu’à l’image de ceux qu’ils prétendent défendre, les
Sénégalais si peu fiables. Deuk bi fepëy xasan !